Règles relatives à la substance des discours

Allusions aux députés

Pendant les débats, les députés ne doivent pas s’appeler par leur nom140 ; ils doivent plutôt désigner leurs collègues par leur titre, leur poste ou leur circonscription pour éviter toute tendance à personnaliser le débat141. Il faut désigner un ministre par le ministère qu’il dirige142. On peut appeler les chefs des deux principaux partis le très honorable premier ministre et l’honorable chef de l’Opposition ; les chefs des autres partis sont désignés chefs de leurs partis respectifs143 ou simplement par le nom de leur circonscription. On désigne également par le titre de « très honorable » les anciens premiers ministres qui siègent à la Chambre et les autres députés à qui ce titre a été conféré. On désigne habituellement les secrétaires parlementaires, les leaders à la Chambre et les whips des partis par la charge dont ils sont titulaires.

Le Président ne saurait autoriser un député à en appeler un autre par son nom même lorsque le député ayant la parole cite un document comme un article de journal. Comme la présidence l’a fait observer, « on ne peut pas faire indirectement ce qu’on ne peut pas faire directement144 ».

Il est inacceptable de faire allusion à la présence ou à l’absence d’un député ou d’un ministre à la Chambre145. Les Présidents ont maintenu cette interdiction au motif que « les députés doivent être à bien des endroits, afin de bien remplir les devoirs de leur charge146 ».

Les remarques qui mettent en doute l’intégrité, l’honnêteté ou la réputation d’un député sont contraires au Règlement147. Un député sera prié de retirer toute remarque injurieuse, allégation ou accusation d’irrégularité dirigée contre un autre député148. Le Président n’est pas habilité à rendre des décisions au sujet de déclarations faites en dehors de la Chambre des communes par un député contre un autre149.

Critiques de la Chambre ou du Sénat

Si la présidence a fait preuve d’une souplesse considérable ces dernières années, on s’entend généralement sur le fait que les remarques irrévérencieuses au sujet du Parlement dans son ensemble ou de la Chambre ou du Sénat en particulier ne sont pas permises150. Cette règle protège également les députés et sénateurs. Dans les débats, on utilise ordinairement les expressions « l’autre endroit » et « les membres de l’autre endroit » pour désigner le Sénat et les sénateurs151. Les allusions aux débats et aux délibérations du Sénat sont déconseillées152 et il n’est pas acceptable de mettre en doute l’intégrité, l’honnêteté ou la réputation d’un sénateur153. Cela « prévient les disputes inutiles entre les membres de deux organismes distincts qui ne peuvent pas se donner la répartie et protège contre la récrimination et les propos injurieux en l’absence de l’autre partie154 ».

Critiques de la présidence

Il est interdit à quiconque, au cours d’un débat, de critiquer la conduite du Président ou d’autres présidents de séance155. Il est inacceptable que l’intégrité et l’impartialité d’un président de séance soient mises en doute et, si cela se produit, le Président peut interrompre le député pour lui demander de se rétracter ou donner immédiatement la parole à un autre député156. Seule une motion de fond, dont avis écrit a été donné 48 heures à l’avance, permet de contester, de critiquer et de débattre les actes de la présidence157. Les critiques à l’encontre de la réputation ou des actes du Président ou d’autres présidents de séance ont été considérées comme des atteintes au privilège158.

Allusions au souverain, à la famille royale, au gouverneur général et aux magistrats

Il est interdit aux députés de parler irrévérencieusement du souverain, de la famille royale, du gouverneur général ou de la personne qui administre le gouvernement du Canada (en l’absence du gouverneur général)159. De même, toute allusion à ces personnes qui semble avoir pour objet d’influencer les travaux de la Chambre est interdite160.

De tout temps, les attaques personnelles et les blâmes dirigés contre les magistrats et les tribunaux par des députés au cours d’un débat ont été considérés comme étant non parlementaires et, par conséquent, une infraction au Règlement161. Comme le Président suppléant McClelland l’a expliqué à la Chambre, « […] une tradition de longue date de la Chambre veut que l’on fasse preuve de prudence quand on attaque des personnes ou des groupes, notamment au sein de la magistrature, ou des personnes qui ne peuvent venir à la Chambre et [jouir du] même droit de parole dont nous jouissons en toute impunité dans cette enceinte162 ». Même s’il est permis de parler de la magistrature en général ou de critiquer une loi, il ne convient pas de critiquer un juge en particulier ou de lui prêter des intentions ni de critiquer la décision rendue par un juge conformément à la loi163.

Allusion par leur nom à des particuliers

Les députés doivent s’abstenir de nommer par leur nom des personnes qui ne sont pas parlementaires et qui ne jouissent donc pas de l’immunité parlementaire, sauf lorsque des circonstances exceptionnelles l’exigent, dans l’intérêt national164. Le Président a jugé qu’il incombe aux députés de protéger les innocents, non seulement contre les calomnies pures et simples, mais également contre toute attaque directe ou indirecte, et il a suggéré que les députés s’abstiennent dans la mesure du possible de nommer par leur nom des gens qui ne sont pas à la Chambre et qui ne peuvent donc pas répliquer pour se défendre165.

Allusion à des délibérations et à des débats antérieurs

Dans le passé, on encourageait habituellement les députés à ne pas faire allusion aux débats de la session en cours pour les empêcher de revenir sur un débat clos et économiser le temps de la Chambre, à moins que leurs remarques n’aient rapport à la question débattue166. Aujourd’hui, il arrive rarement, sinon jamais, que l’attention du Président soit attirée sur des infractions à cette règle. De manière générale, les députés ne devraient pas citer des déclarations faites par leurs collègues ou eux-mêmes pendant la session en cours167, mais cette règle ne s’applique pas aux allocutions à différentes étapes d’un projet de loi168. Une allusion directe est permise, cependant, si un député désire se plaindre de ce qui a été dit, rectifier une déformation des faits ou s’expliquer sur un fait personnel169.

Les députés ne peuvent pas se dresser contre une décision de la Chambre ou la critiquer170. Cela découle de la règle bien établie selon laquelle une question, une fois mise aux voix, ne peut pas être posée de nouveau, que la motion ait été adoptée ou rejetée. De telles critiques n’ont pas leur place parce que le député est lié par la décision de la majorité171. La présidence n’a jamais hésité à attirer l’attention sur les critiques au sujet des votes172. Toutefois, si un député donne avis de son intention de proposer qu’un vote soit rescindé, la Chambre peut reconsidérer une résolution ou un ordre antérieur173.

Propos non parlementaires

Les délibérations de la Chambre sont fondées sur une longue tradition de respect de l’intégrité de tous les députés. Par conséquent, la tenue de propos injurieux, provocants ou menaçants à la Chambre est strictement interdite. Les attaques personnelles, les insultes et les grossièretés sont contraires au Règlement174. Une accusation directe ne peut être portée contre un député que par la voie d’une motion de fond dont avis doit être donné175.

Si le langage utilisé au cours d’un débat paraît douteux au Président, il interviendra. Néanmoins, tout député qui se sent blessé par une remarque ou une allégation peut aussi porter immédiatement la question à l’attention du Président en invoquant le Règlement. Il ne peut pas y avoir de rappels au Règlement durant les Déclarations de députés ou la période des questions176. Néanmoins, le Président peut intervenir sur-le-champ s’il estime que l’affaire est suffisamment grave pour mériter son attention immédiate177. Normalement, les rappels au Règlement reposant sur le langage employé pendant les Déclarations de députés ou la période des questions sont abordés à la fin de la période des questions178. Étant donné que le Président doit prendre une décision en fonction du contexte dans lequel le langage a été utilisé, le Règlement doit être invoqué le plus tôt possible après la tenue des propos reprochés179.

Si le Président n’a pas entendu les propos en question ou s’il y a un différend quant aux mots vraiment utilisés, la présidence peut laisser la question de côté en attendant un examen du compte rendu des délibérations et, au besoin, reporter sa décision à plus tard180. Le Président a également déclaré que, si la présidence n’avait pas entendu l’expression ou le mot injurieux et que si ces propos n’avaient pas été retranscrits dans les Débats, on ne pouvait pas s’attendre à ce qu’elle tranche sans un compte rendu fiable181.

Lorsqu’il doit décider si des propos sont non parlementaires, le Président tient compte du ton, de la manière et de l’intention du député qui les a prononcés, de la personne à qui ils s’adressaient, du degré de provocation et, ce qui est plus important, du désordre éventuel qu’ils ont causés à la Chambre182. Ainsi, des propos jugés non parlementaires un jour pourraient ne pas nécessairement l’être un autre jour. La codification du langage non parlementaire s’est révélée impossible, car c’est du contexte dans lequel les mots ou phrases sont utilisés que la présidence doit tenir compte lorsqu’elle décide s’ils devraient ou non être retirés183. Même si une expression peut être considérée comme acceptable, selon le Président, il faut se garder d’utiliser toute expression qui pourrait semer le désordre à la Chambre. Les expressions qui sont considérées comme non parlementaires lorsqu’elles s’appliquent à un député ne sont pas toujours considérées de la sorte lorsqu’elles s’appliquent de manière générale ou à un parti184.

Si le Président juge qu’un député a tenu des propos injurieux ou contraires à l’usage, il lui demandera de se lever à sa place et de les retirer sans équivoque. Les excuses du député sont acceptées de bonne foi et l’affaire est dès lors considérée comme close185. Toutefois, si le député refuse d’obéir au Président et de se rétracter, la présidence peut refuser de lui accorder la parole jusqu’à ce qu’il ait retiré ses propos186 ou peut le « désigner par son nom » pour mépris de l’autorité de la présidence et lui ordonner de se retirer de la Chambre pour le reste de la séance187.

Répétitions et digressions

Les règles relatives aux digressions et aux répétitions188 s’entrecroisent et se renforcent mutuellement. La règle voulant que les interventions portent sur la question dont la Chambre est saisie découle du droit de la Chambre d’arriver à une décision sans obstruction indue et d’exclure du débat toute discussion qui n’y contribue pas. La règle interdisant de répéter des arguments déjà avancés assure le déroulement expéditif du débat. Négliger l’une ou l’autre de ces règles nuirait grandement à la capacité de la Chambre de gérer efficacement le temps réservé à ses travaux.

Malgré leur importance, ces règles demeurent difficiles à définir et à appliquer, notamment parce que leur application doit respecter la liberté d’expression dont jouissent les députés. Le Président peut invoquer la règle interdisant les répétitions pour empêcher un député de reprendre des arguments déjà présentés au cours du débat, quel qu’en soit l’auteur189. Quant à la règle de la pertinence, elle permet à la présidence de contrer toute tendance à s’éloigner de la question dont la Chambre ou un comité a été saisi. Il n’est pas toujours possible de juger de la pertinence (ou du caractère répétitif) des remarques d’un député tant qu’il n’a pas parlé pendant un certain temps ou même fini de dire ce qu’il avait à dire190. Le Président doit exercer sa discrétion : si les règles sont appliquées trop rigoureusement, elles risquent d’écourter grandement le débat ; si elles sont négligées, la perte de temps qui en résulte peut empêcher d’autres députés de participer au débat. La situation particulière, l’humeur de la Chambre et l’importance relative de la question à l’étude influenceront la rigueur avec laquelle le Président interprétera ces règles.

Lorsqu’il applique les règles se rapportant aux digressions et aux répétitions, le Président peut rappeler un député à l’ordre et, si c’est nécessaire, l’avertir qu’il risque de devoir mettre un terme à son discours. De tels avertissements suffisent habituellement. Cependant, si le député persiste, le Président pourrait donner la parole à un autre député ou, si aucun autre député ne souhaite prendre la parole, mettre la question aux voix191. Si le député persiste à faire fi des instructions ou directives du Président, ce dernier pourrait le « désigner par son nom ».

Historique

Nul ne sait au juste quand la Chambre des communes britannique a adopté la pratique consistant à restreindre les discours répétitifs ou hors de propos. Il semblerait cependant qu’elle ait déjà été bien établie à la fin du XVIe siècle. Un manuel de procédure remontant à l’époque des parlements élisabéthains énonce parmi les pouvoirs du Président celui de rappeler un député à l’ordre lorsqu’il « intervient dans un débat sur un projet de loi et est hors de propos192 ». Durant la même période, le Président Popham demandait, au moment de son élection à la présidence en 1580, que les députés « s’en tiennent au sujet […] et ne consacrent pas trop de temps à des motions inutiles ou des arguments superflus193 ». Les Journaux de 1604 suggèrent que la règle de la pertinence a été adoptée cette année-là sur l’ordre de la Chambre. Un ouvrage faisant autorité l’a définie en ces termes : « Que si un homme parle sans pertinence, ou qu’il est en dehors du sujet, le Président peut l’interrompre conformément aux ordres de la Chambre et décider, selon le bon plaisir de la Chambre, si elle continuera à l’entendre194 ». Peu après, la Chambre a également adopté une règle interdisant les répétitions195. Les deux règles se sont avérées difficiles à appliquer, notamment celle de la pertinence, qui obligeait le Président à obtenir l’appui de la Chambre pour ordonner à un député de s’en tenir au sujet du débat. Au XVIIIe siècle, les interventions des Présidents étaient tellement rares qu’elles déplaisaient fortement aux députés lorsqu’elles se produisaient196.

Lorsque la Chambre des communes canadienne a adopté ses règles, en 1867, aucune allusion n’a été faite aux répétitions durant un débat, et la règle de la pertinence a été mentionnée uniquement dans le contexte d’un ordre général donné aux députés de « s’en tenir à la question débattue197 ». Mis à part le fait qu’il pouvait conseiller à un député de s’en tenir au sujet, le Président devait presque s’en remettre à la Chambre et à la bonne volonté des députés pour appliquer la règle.

Lors d’une révision des règles en 1910, les pouvoirs du Président ont été accrus. La présidence a été habilitée à signifier à un député de discontinuer son discours si elle le jugeait hors de propos ou répétitif après avoir attiré l’attention de la Chambre sur la question198. Lorsqu’il a proposé l’adoption de cette règle, le premier ministre Wilfrid Laurier a fait observer que c’était « mot pour mot le texte du règlement de la Chambre des communes d’Angleterre199 ». Il n’en était pas moins vrai de la règle se rapportant à la pertinence des propos tenus en comité plénier qui a été adoptée au même moment : « Les discours en Comité plénier se rapportent rigoureusement au poste ou à la disposition à l’étude200 ».

Lorsque les règles ont été de nouveau révisées en 1927, les pouvoirs du Président ont été élargis de façon qu’il puisse intervenir efficacement au cas où un député refuserait de lui obéir. Un comité spécial de la procédure a recommandé que le Président soit autorisé à « désigner » par son nom un député récalcitrant ou, si l’incident avait lieu dans un comité, d’autoriser le président du comité à le dénoncer à la Chambre. Ces recommandations ont été adoptées par la Chambre sans amendement ni débat et les pouvoirs de la présidence à cet égard demeurent inchangés depuis201.

Les répétitions

La règle interdisant les répétitions vise principalement à sauvegarder le droit de la Chambre d’en arriver à une décision et à l’aider à faire bon usage de son temps. Même si le principe est clair et logique, il n’a pas été toujours facile à appliquer202, et le Président jouit d’une grande latitude à cet égard. Il peut notamment écourter un débat qui se prolonge en limitant les interventions des députés aux remarques qui n’ont pas déjà été faites203. La liberté de parole dont jouissent les députés ne leur donne pas le droit de répéter des arguments déjà entendus204. Dans le contexte du processus législatif, cette restriction s’applique uniquement aux remarques faites au cours d’une même étape de l’étude d’un projet de loi. Les arguments présentés à une étape peuvent aussi légitimement l’être de nouveau à une autre.

Enfin, le Président s’est servi de la règle de diverses autres façons pour aider la Chambre à utiliser efficacement le temps qui lui est alloué. Des Présidents ont déclaré inadmissibles la lecture ennuyeuse de lettres même pour appuyer un argument205, la présentation durant la période des questions d’une question semblable à une autre déjà posée le même jour206 et la répétition de questions de privilège sur le même sujet207.

La règle de la pertinence

La Chambre dispose maintenant de règles limitant la durée des discours, mais il fut un temps où il y avait peu de restrictions et il arrivait souvent que le débat déborde le cadre du sujet à l’étude. En 1882, John George Bourinot, alors Greffier de la Chambre, a jugé nécessaire d’ajouter le commentaire qui suit à son examen de la procédure parlementaire :

Le respect des privilèges et de la dignité du Parlement exige qu’il ne gaspille pas inutilement son temps en de vaines discussions ; par conséquent, tout député qui s’adresse à la Chambre devrait essayer de s’en tenir le plus près possible à la question à l’étude208.

Ce conseil vaut toujours aujourd’hui, puisque la conduite des affaires de l’État devient de plus en plus complexe et que le temps de la Chambre est limité. Il suffit souvent que le Président rappelle le sujet du débat au député rappelé à l’ordre et qu’il lui indique en quoi ses remarques n’étaient pas pertinentes209. Durant la période de questions et d’observations qui suit la plupart des discours, par exemple, un député doit limiter ses remarques aux arguments avancés dans le discours ; sinon, la présidence invoquera la règle de la pertinence210. Néanmoins, les Présidents savent qu’ils doivent alors faire preuve d’une certaine souplesse211. Ils ont, à l’occasion, fermé les yeux sur des allusions à d’autres questions au cours d’un débat si elles étaient faites en passant et n’étaient pas le thème principal du discours212.

La règle de la pertinence s’applique non seulement au débat sur une motion principale, mais aussi à tout amendement proposé213. Les arguments jugés hors de propos au cours d’un débat sur une motion principale demeurent hors de propos s’ils sont présentés sous la forme d’un amendement. Si un amendement est proposé à une motion, la règle de la pertinence veut que le débat soit limité à cet amendement jusqu’à ce que la Chambre se soit prononcée214. Même si un amendement propose de remplacer tous les mots de la motion principale après le mot « Que » et d’y substituer une autre proposition, le débat est limité à la motion principale et à l’amendement ; toutes les autres propositions sont hors de propos215. Lorsque la Chambre s’est prononcée sur un amendement, il lui est alors possible de débattre la motion principale en entier ou d’envisager un autre amendement.

La question préalable a un caractère exceptionnel en ce qui concerne la règle de la pertinence. La motion « Que la question soit maintenant mise aux voix » ne gêne en rien le débat sur la motion initiale. Au contraire, les députés qui ont déjà participé au débat peuvent de nouveau exprimer leur avis sur la motion, après que la question préalable a été proposée216. Toutefois, il faut s’assurer d’éviter les répétitions.

Projets de loi

La pertinence du débat à une motion dont la Chambre a été saisie vaut notamment pour l’examen des projets de loi aux différentes étapes qui précèdent leur adoption. D’après la pratique qui a son origine à la Chambre des communes britannique, « à chacune de ces étapes correspondent une fonction singulière et, jusqu’à un certain point, un débat de portée plus ou moins limitée217 ». Cette fonction guide le Président et la Chambre dans l’application de la règle de la pertinence. Ainsi, l’étape de la deuxième lecture d’un projet de loi se limite à la discussion de son principe tandis que l’étape du rapport ne porte que sur les motions d’amendement à un projet de loi. En dépit des nombreuses occasions offertes à la Chambre de discuter d’un projet de loi, la portée du débat est considérée comme étant différente à chaque étape, bien que, ces dernières années, la présidence ait parfois fait preuve de beaucoup de souplesse218.

Deuxième lecture

Au cours du débat en deuxième lecture, les députés ont souvent été tentés d’étudier à fond les articles d’un projet de loi au lieu de se limiter à l’examen du principe du projet de loi, ce qui contrevient à la règle de la pertinence. Le Président les a parfois interrompus pour les empêcher de discuter de dispositions du projet de loi plutôt que de son principe219. Une décision du Président à ce sujet est assez claire : « À l’étape de la deuxième lecture, il ne convient pas de débattre des articles du [projet de loi]220 ». Lorsque la Chambre songe à adopter un projet de loi modificatif, la règle exige, en deuxième lecture, que ce soit le principe du projet de loi même, et non celui de la loi qu’il vise à modifier, qui constitue le sujet à l’étude221.

L’étape de l’examen en comité

Le renvoi d’un projet de loi à un comité prépare le terrain à une étude approfondie de son contenu, article par article. Aujourd’hui, la plupart des projets de loi sont renvoyés à des comités permanents pour être étudiés, mais, dans le passé, l’examen détaillé des projets de loi était plus souvent confié à un comité plénier et c’est dans cette tribune plus nombreuse que la pratique régissant l’examen des projets de loi s’est développée. Conformément au Règlement, les discours prononcés en comité plénier doivent se rapporter rigoureusement au poste ou à l’article à l’étude222. Les présidents ont fréquemment cité cette règle et prié les députés de l’observer223. La même pratique s’applique à l’étude des projets de loi par les comités permanents, spéciaux ou législatifs.

Une exception importante à la règle de la pertinence en comité est celle du débat général qui est permis relativement à l’article 1, ou l’article qui suit le titre abrégé. Même si le Règlement ne contient aucune disposition explicite au sujet de cette pratique, elle est acceptée depuis au moins les années 1930224. Au fil des ans, la répétition du débat en deuxième lecture et l’anticipation de l’étude article par article ont été graduellement exclues du débat général relatif à l’article 1225, qui est maintenant limité à l’objet du projet de loi226. Si on propose un amendement à l’article 1, la discussion se limite à cet amendement jusqu’à ce qu’on le mette aux voix227.

L’étape du rapport

D’après Beauchesne, « l’étape du rapport d’un projet de loi d’intérêt public est consacrée à la révision de ce qui s’est fait en comité. Il s’agit d’une réédition, sous une forme moins libre, de l’étude en comité, les règles applicables à la circonstance étant celles qui régissent les délibérations de la Chambre, le Président étant au fauteuil228 ». Les motions à l’étape du rapport sont des amendements à des articles d’un projet de loi visant à les modifier, à les supprimer ou à les rétablir. Pour éviter les répétitions excessives, le Président exerce invariablement le pouvoir de choisir ou de combiner les motions proposées229. Le Président peut aussi limiter les délibérations en utilisant la règle de la pertinence telle qu’elle s’applique au débat sur les articles d’un projet de loi. Bien que le débat à l’étape du rapport ressemble à celui de l’étape de l’examen en comité, les députés n’ont pas toute la latitude pour discuter d’un projet de loi comme ils le font à l’étape de l’étude en comité de l’article 1. En effet, lorsqu’on passe à l’Ordre du jour pour l’étude d’un projet de loi à l’étape du rapport, la discussion se limite à « toute modification dont on a donné avis230 ».

Troisième lecture

Le débat en troisième lecture vise à permettre à la Chambre de revoir la mesure législative dans sa forme définitive ; par conséquent, il est strictement limité au contenu du projet de loi231. Si un amendement est proposé, le débat doit porter sur cet amendement jusqu’à ce que la Chambre se soit prononcée232.

Débats sur l’Adresse en réponse au discours du Trône et sur le budget

Les us et coutumes de la Chambre permettent que la règle de la pertinence soit relâchée au cours du débat sur la motion pour une Adresse en réponse au discours du Trône. Le débat sur cette motion « constitue pour le simple député l’une des occasions qui lui sont offertes de traiter librement des sujets de son choix233 ». Par conséquent, le débat a tendance à être très général et le Président ne fait habituellement aucun effort pour appliquer la règle de la pertinence. Ce n’est pas le cas, toutefois, lorsque la Chambre tient un débat sur le budget. Les remarques des députés doivent avoir un rapport direct avec la motion dont la Chambre a été saisie. Il reste que l’énoncé de la motion (c.-à-d. que la Chambre approuve en général la politique budgétaire du gouvernement) est suffisamment vaste pour assurer aux députés une grande latitude dans leurs propos sans transgresser le principe de la règle234.

La convention relative aux affaires en instance (ou règle du sub judice)

La convention relative aux affaires en instance est avant tout un exercice volontaire de la part de la Chambre, où des restrictions sont imposées à la liberté de parole des députés pour leur interdire de faire allusion, pendant un débat, à des affaires en instance. De même, les affaires en instance ne peuvent pas non plus faire l’objet de motions, de pétitions ou de questions à la Chambre. Cette restriction sert à protéger un accusé ou une autre partie à des poursuites en justice ou à une enquête judiciaire de tout effet préjudiciable découlant d’une discussion publique de la question235. En l’appliquant, la Chambre reconnaît qu’il ne lui appartient pas de juger des affaires individuelles, ce rôle revenant aux tribunaux. Comme le faisait observer le Président Fraser, la convention sert à « maintenir la séparation et la bonne entente entre le législatif et le judiciaire236 ». Ainsi, la Chambre reconnaît l’indépendance constitutionnelle du pouvoir judiciaire. L’interprétation de cette convention est laissée à la discrétion du Président, puisqu’il n’existe aucune règle interdisant au Parlement de discuter d’une affaire en instance237. Il existe des précédents pouvant guider la présidence, mais on n’a jamais essayé de codifier cet usage238. D’un autre côté, comme le Président Sauvé l’a expliqué, la convention relative aux affaires en instance n’a jamais empêché la Chambre d’étudier une affaire en instance vue comme une question de privilège fondée de prime abord et considérée vitale pour le pays ou pour la bonne marche de la Chambre et ses députés239.

Il y a des situations où l’application de la convention relative aux affaires en instance ne pose aucun problème. Elle a régulièrement été appliquée à des motions, à des allusions au cours de débats, à des questions et à des questions supplémentaires, ainsi qu’à toutes les questions relatives à des affaires criminelles240.

La convention ne s’applique ni aux lois ni au processus législatif, puisqu’on ne peut pas limiter le droit du Parlement de légiférer241. Si la convention relative aux affaires en instance devait s’appliquer aux projets de loi, il suffirait d’engager des poursuites judiciaires devant un tribunal canadien pour interrompre tout le processus législatif.

Affaires au criminel et au civil

Aucune distinction n’a jamais été faite au Canada entre les tribunaux criminels et les tribunaux civils aux fins de l’application de la convention relative aux affaires en instance. Elle s’est aussi appliquée à certains tribunaux autres que des cours de justice. La convention est là pour garantir à chacun un juste procès et empêcher toute influence indue qui pourrait préjudicier à une décision judiciaire ou au rapport d’un tribunal d’enquête. De l’avis du Comité spécial des droits et immunités des députés, « la question du préjudice se pose surtout lorsqu’il s’agit de procès en diffamation devant un jury, au criminel et au civil242 ».

Dans les affaires criminelles, les précédents ne font pas allusion à la cause avant qu’une décision n’ait été rendue et durant tout appel. On attend des députés qu’ils s’abstiennent de discuter des affaires qui sont devant un tribunal criminel, non seulement pour protéger les personnes qui subissent un procès et risquent d’en souffrir peu importe son issue, mais aussi parce que le procès pourrait se trouver faussé par un débat à la Chambre243. Il a été établi que la convention cesse de s’appliquer, en ce qui concerne les affaires au criminel, lorsqu’un jugement a été rendu244. Le Président a confirmé qu’une affaire est de nouveau en instance si la décision rendue fait l’objet d’un appel245.

Dans les affaires au civil, les précédents sont moins uniformes. En effet, la convention a été appliquée dans certains cas246, mais pas dans d’autres247. Toutefois, en 1976, le Président a jugé que rien ne devrait restreindre le droit d’un député de poser des questions au sujet d’une affaire devant les tribunaux, notamment au civil, à moins et jusqu’à ce que l’affaire passe en jugement248. Bien qu’il n’y ait pas de pratique établie dans le cas des affaires civiles, la présidence a maintes fois rappelé la nécessité de faire preuve de prudence dans les allusions aux affaires en instance judiciaire, peu importe la nature du tribunal249.

Cours d’archives et commissions d’enquête

D’après les précédents, il est clair que l’application de la convention est limitée aux tribunaux définis par la loi comme étant des cours d’archives250. Une « cour d’archives » est définie comme suit : « 1. Une cour qui doit tenir un compte rendu de ses délibérations. Ses comptes rendus sont présumés exacts et ne peuvent pas être contestés ; 2. Une cour qui peut imposer une amende ou une peine d’emprisonnement pour outrage251 ». La convention relative aux affaires en instance ne s’applique pas, cependant, aux questions renvoyées à des commissions royales ou à d’autres commissions d’enquête, quoique la présidence ait fait une mise en garde contre les allusions aux délibérations, témoignages ou constatations d’une commission royale avant qu’elle n’ait présenté son rapport252.

Le rôle du Président

Étant donné que la convention relative aux affaires en instance n’est pas codifiée et est d’application volontaire, la compétence du Président dans de telles affaires est un peu difficile à définir. Le pouvoir discrétionnaire du Président à l’égard des affaires en instance découle de son rôle de gardien de la liberté d’expression à la Chambre. La présidence a le devoir d’assurer l’équilibre entre les droits de la Chambre et les droits et intérêts du citoyen ordinaire qui subit un procès. En fait, le Président intervient uniquement dans des cas exceptionnels où il semble probable qu’en agissant autrement, il léserait des intérêts particuliers. Le problème qui se pose pour un Président tient au fait qu’il ne peut déterminer si un commentaire aura une incidence quelconque avant que ce commentaire ait été fait.

Dans son rapport de 1977, le Comité spécial des droits et immunités des députés a recommandé que, si la situation n’était pas claire, la présidence accorde le bénéfice du doute au député qui désire soulever une question à la Chambre et s’abstienne de se servir de son pouvoir discrétionnaire en ce qui a trait à l’application de la convention253. Le Comité a conclu que, sans vouloir remettre en question le pouvoir discrétionnaire de la présidence, les députés de la Chambre devraient eux-mêmes s’abstenir de toute déclaration lorsque cela semble justifié254. Un député qui croit que le fait d’intervenir pourrait léser des intérêts particuliers, lors d’un procès ou d’une enquête, devrait s’abstenir de toute déclaration. En outre, tout député qui demande au Président d’empêcher une discussion pour motif de sub judice se verrait obligé de démontrer, à la satisfaction de la présidence, l’existence d’une raison valable de croire qu’un préjudice pourrait résulter de cette discussion255.

Le Comité s’est dit d’avis qu’au cours de la période des questions, plus particulièrement, la présidence devrait intervenir au minimum dans l’application de la convention, et qu’il incomberait plutôt au député qui pose la question ainsi qu’au ministre à qui elle est adressée de faire preuve de discernement. Un ministre serait mieux placé que le Président pour juger si une question qui lui est adressée concerne une affaire en instance. Le ministre peut alors décider de lui-même si sa réponse peut léser les intérêts d’une partie ; auquel cas, il pourrait refuser de répondre, en se prévalant de sa prérogative de répondre ou non à une question. D’après les précédents, il semblerait que ce soit l’approche adoptée par la présidence256. Le Président a interrompu des députés uniquement lorsqu’il croyait qu’il y avait manquement à la convention relative aux affaires en instance257.

Explications sur un fait personnel

La présidence peut à l’occasion autoriser un député à donner des explications sur un fait personnel même si la Chambre n’a été saisie d’aucune question. C’est ce que les députés appellent communément « une question de privilège personnel » et il s’agit d’une indulgence de la présidence à leur égard. Cela n’a rien à voir avec la question de privilège et, comme un Président le faisait observer, « Je ne m’appuie sur aucune autorité juridique, aucune règle de procédure ni aucun précédent historique ou autre258 ». Par conséquent, de telles occasions ne doivent pas donner lieu à un débat général et les députés ont été avertis de s’en tenir à l’essentiel259. Lorsque la présidence les y autorise, les députés s’en servent généralement pour annoncer une démission260 ou expliquer des changements dans l’appartenance politique, des faits les touchant qui se sont produits à l’extérieur de la Chambre ou des déclarations mal interprétées261.